Mariages à Malte au XVIIIème siècle

Publié le 08/02/2011

article paru dans le Bulletin GAMT n°71 de 2000/3

J'ai lu un livre de l'historien maltais, Frans Ciappara, qui nous donne un des aspects de la société maltaise au XVIIIème siècle. Voici un résumé de "Marriages in Malta".

Tout d'abord, l'auteur nous apprend que les jeunes filles ne se mariaient pas aussi jeunes que nous le pensions : les statistiques nous montrent que leur moyenne d'âge à leur noce était de 20 à 25 ans. Pour les hommes, la moyenne était d'autant plus élevée que la famille était plus aisée, et qu'elle était de 27 ans. Les différences d'âge entre époux étaient peut importantes et il arrivait assez souvent que l'époux soit d'âge égal ou même plus jeune surtout en cas de mariage avec une veuve.

On ne se mariait pas comme on le voulait et quand on le voulait. Pour éviter des désordres, le Concile de Trente avait décidé en 1563, la tenue de registres paroissiaux pour les baptêmes, les mariages et les décès; il fallait que le projet de mariage soit publié pendant la célébration de trois messes dominicales; il fallait que le mariage soit public et en présence de deux témoins. Et il était indissoluble. L'Eglise ordonnait et, le cas échéant, l'Inquisition sanctionnait. Il y eut parfois des dispenses et des "arrangements" mais, en général on ne plaisantait pas avec ces deux institutions. D'autre part, l'Eglise encourageait le mariage pour éviter des situations chaotiques et pour stabiliser les paroissiens.

On ne se mariait ni en Avent ni en Carême. On ne se mariait pas si on était cousins. Or, les Maltais aimaient se marier dans la famille; on savait ainsi à qui on avait à faire et on lavait son linge sale en paix. Mais l'Eglise interdit ces mariages au-dessous du 4ème degré de consanguinité.

Pas de mariage possible non plus s'il s'avérait que le fiancé avait eu des relations intimes avec la mère ou la sœur de sa future. Si le couple voulait convoler malgré cet obstacle, on entamait une longue procédure car il fallait demander au Curé une dispense qu'il transmettait à l'Evêque lequel, après une longue attente, répondait qu'on allait procéder à une enquête. Pendant ce temps, les fiancés étaient censés ne pas même s'adresser la parole. En cas d'insoumission, le jeune homme risquait 3 à 9 mois de travaux d'intérêt public, tels que la réfection des églises ou de l'hôpital.

Il arrivait aussi que le jeune couple, s'impatientant, on finissait par les marier après leur avoir fait payer une amende. Et ce n'était pas tout ! Le jour de leur mariage, ils devaient attendre qu'on leur ouvre les portes de l'église, agenouillés devant l'entrée, une bougie allumée à la main. La bague au doigt, ils n'en étaient pas encore quittes. Ils devaient promettre de se confesser et communier tous les 15 jours, de jeûner le samedi, de dire le Rosaire tous les jours, et cela pendant deux ans !

Le mariage des enfants était l'affaire des parents. Ils multipliaient enquêtes, démarches et tractations auprès d'autres familles souvent par l'intermédiaire d'une "huttaba", sorte de courtière. Après de longs pourparlers, on mettait au point un contrat devant notaire. Les époux prononçaient la première promesse dite "per verba de futuro"; elle engageait plus sérieusement que des fiançailles car son annulation sans motif valable pouvait entraîner l'excommunication. De plus, dans le cas où le jeune homme avait eu des relations intimes avec sa fiancée, il risquait la prison. On peut supposer que ces cas n'étaient pas rares car l'Eglise se vit obligée d'interdire en certains endroits, aux femmes seules de recevoir des hommes après le coucher du soleil. Sous peine d'interdiction de séjour dans la paroisse !

La deuxième promesse de mariage se faisait à l'église, le jour des noces. C'était la promesse "per verba de praesentia", c'était le consentement mutuel, sans lequel le mariage n'aurait pas été valide. Mais, le futur couple avait été auparavant "sérieusement exhorté au respect des parents". En clair : pas de mariage, si les parents n'étaient pas d'accord. En général, il en fut ainsi mais il y eut quelques mariages clandestins.

Les statistiques nous apprennent que, malgré les mœurs rigides de l'époque, 29% des naissances étaient conçues avant mariage. Et Frans Ciappara en donne une explication, pour la plupart des cas : "on se mariait pour la procréation et non pour la récréation."

Un mariage sans enfant était impensable, et c'était un malheur. Les enfants étaient l'assistance et la sécurité pour les vieux jours. Et Dieu l'avait voulu ainsi ! Et puis, diable ! On n'avait pas fait ces démarches et ces dépenses pour rien ! Sans aller jusqu'à dire que le mariage était une affaire de gros sous, il en avait bien fallu des gros et des petits sous, durement gagnés et économisés. Et les temps étaient bien incertains... Alors, pratiques, les fiancés "testaient" la fécondité de leur future femme.

Dans la grande majorité des cas, on n'habitait pas chez les parents, mais on préférait de beaucoup résider dans la paroisse de l'épouse car mère et fille s'assisteraient mutuellement ce qui s'avérerait moins facile avec la belle-mère. Il semble aussi que les petits-enfants préféraient la grand-mère maternelle. La proximité de ses parents était pour la femme une sécurité en cas de violences conjugales, fait qui n'était malheureusement pas rare. C'était aussi un refuge pour les enfants, le cas échéant. Les épouses malheureuses étaient non seulement soutenues par la famille et le voisinage mais aussi par l'Eglise. On essayait d'abord de faire revenir le mari à de bons sentiments mais en cas de récidive, on l'envoyait aux galères ou en exil.

Et l'amour dans tout ça ? D'après les études de Frans Ciappara, les relations conjugales semblent avoir été peu ou pas sentimentales. Il cite quelques témoignages de tendresse comme des exceptions. Il est vrai que les Maltais sont assez pudiques sur ce sujet, mais il apparaît que mariages et remariages aient été une alliance "arrangée" plutôt que l'aboutissement d'un penchant sentimental.

Les hommes se décidaient prudemment à convoler quand ils avaient de quoi assumer la charge d'une famille ; et on constate parmi eux, une forte proportion de célibataires. Par contre, les veufs se remariaient et plutôt deux fois qu'une, le cas échéant. Quant aux filles, les parents disaient couramment que "marier sa fille, c'est bien, mais la garder à la maison, c'est mieux".

Et l'adultère ? C'était une aventure périlleuse ! Jugez donc. Au premier faux pas, un mari volage écopait d'une amende, au deuxième aussi. Mais s'il récidivait, c'était la flagellation en public et les travaux forcés. Quant à l'épouse frivole, on l'enfermait au "Conservatorio", sorte d'asile-prison et on lui confisquait sa dot !

La Bigamie. Eh oui, il y eut des cas de bigamie. On voyageait beaucoup, des Maltais se mariaient à l'étranger, puis "oubliaient" leur premier foyer, revenaient au pays et en fondaient un deuxième. D'autres réduits en esclavage dans un pays musulman, une fois libérés, épousaient une femme du pays. Et pris de nostalgie, ils retournaient à Malte et épousaient une "payse". Du côté des femmes, certaines attendirent longtemps le retour d'un mari. S'était-il noyé au cours d'un naufrage ? Tué au cours d'un abordage ? Mort en captivité ? Des témoins affirmaient qu'il était mort, alors elles se remariaient. Et le mari réapparaissait! Que de situations dramatiques et de mélodrames peut-être...

Aussi, l'Eglise veillait à ce que ces désordres se produisent le moins possible. Elle exigeait des marins et voyageurs d'abord un certificat de baptême, une attestation de leur Evêque et de deux témoins qu'ils étaient bien célibataires, pour pouvoir se marier à Malte. Entre 1750 et 1790, il y eut 3.251 demandes d'autorisation de mariage. Les faux témoins étaient fouettés en public et condamnés à 5 ans de galère. A la même époque, 359 femmes sans nouvelles du mari demandaient à se remarier…

Cortège Nuptial de Gianni VellaLe cortège nuptial
Par Gianni VELLA,
peintre du XIXème siècle

Le cortège est précédé par des porteurs de gâteaux et par une charmante demoiselle d’honneur un bouquet à la main.

Un violoniste et un guitariste jouent des airs joyeux et on peut supposer qu’ils chantent et même qu’ils improvisent des souhaits de bonheur, comme c’était la tradition.

Le jeune couple avance sous un dais tenu par des témoins. D’une fenêtre voisine, on lance du riz en signe de porte-bonheur et des sucreries ou des amandes que les enfants s’empressent de ramasser.

Au fond, les belles-mamans… et Vive la Mariée !

Texte publié avec l'aimable autorisation d'Aurore VERIE


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