Le Siège de Malte par Napoléon Bonaparte

Publié le 02/04/2011

Mémoire en note sur l’expédition d'Égypte (sans nom d’auteur) - Extrait d’archive du SHAT

On a vu que Bonaparte désirait voir Malte occupée avant de commencer l’expédition d'Égypte, la possession de cette île et de celles de l’Adriatique assurait l’Empire en Méditerranée et procurait la faculté d’entretenir à Malte des forces de terre et de mer toujours prêtes à rejoindre celles qui seraient destinées à la conquête de l'Égypte. Diverses circonstances ayant empêché que l’Amiral Brueys se saisît de l’île en ramenant en 1797 l’escadre vénitienne de Corfou, Bonaparte eut recours à la ruse pour se faire ouvrir les portes de cette importante station.

Carte de Malte

L’agent diplomatique Poussielgue, sous le titre d’inspecteur des échelles du Levant, alla s’installer à Malte, soit pour insurger le pays contre l’Ordre soit pour juger les Chevaliers Français et les engager à seconder les vues de la République. L’Ordre de Saint Jean de Jérusalem n’avait plus rien de son ancienne renommée. C’était une confrérie qui fournissait quelques établissements aux Cadets de famille plus jaloux de repos qu’avide de gloire. Il n’était pas de gentilhomme en Europe qui ne préférait une Compagnie d’Infanterie au titre de Chevalier. Le Grand Maître, pénétré de la caducité de l’ordre n’avait trouvé d’autres moyens de retarder son extinction que de saisir l’occasion que lui fournit l’Empereur Paul de relever un moment sa splendeur. Dans l’expédition d’Orloff en Macédoine, les Maltais avaient montré à l’Impératrice Catherine tous les partis qu’elle pouvait tirer des anciens défenseurs de Malte dans les guerres contre les Turcs. Les dispositions chevaleresques de son fils secondèrent ses vues à son avènement au trône, il accueillit le Chevalier de Litta, dépêché par l’ordre pour réclamer les revenus du grand Prieur de Pologne et promit de les augmenter si l’on voulait créer une langue Russe et une langue Grecque.  Il avait effectivement signé un traité à cet effet le 15 janvier 1797.  Mais on pouvait prévoir que l’Empereur de Russie, protecteur naturel de ces deux langues, souhaitait moins la prospérité de l’Ordre que d’avoir un prétexte pour exercer son influence sur l’île.

Tout conservait encore à Malte l’aspect d’une colonie guerrière. La côte était hérissée de forts et de batteries. Mais 4 à 500 chevaliers aidés d’environ 3000 hommes de troupes et d’autant de mauvaises milices ne pouvaient empêcher le débarquement d’une armée d’invasion que la population se montrait disposée à accueillir. Le Grand Maître von Hompesch n’avait rien de la valeur de ses devanciers.  Quoiqu’averti des mauvaises intentions du Directoire par les avis du Chevalier Debray envoyé à l’Ordre et surtout par la mission de Poussielgue, il demeura dans une coupable sécurité. Le mouillage de l’Amiral Bruey qui s’arrêta huit jours au commandement de mars pour sonder tous les abords de l’île (lorsqu’il revint de Corfou à Toulon avec la flotte vénitienne) n’éveilla même pas ses soupçons.  Il crut ou feignit de croire à la possibilité de conjurer l’orage par des processions et autres exercices de piété. Son respect pour le trésor du patron de l’Ordre lui ôta jusqu’à la pensée d’en profiter pour renouveler le matériel de "l’entilleur" en état de vétusté avancé, afin d’approvisionner la place et verser la solde des troupes. Ce ne fut qu’à l’approche du convoi de Civita Vecchia qui mouilla en vue de l’île quatre jours que le Grand maître témoigna de l’inquiétude mais il fut rassuré immédiatement par l’entrée du vaisseau et de la Frégate de l’Ordre qui revenait de prendre des vivres en Sicile et qui n’avaient trouvé aucun obstacle de la part du détachement.

Cependant les inquiétudes d’un grand nombre de chevaliers déterminèrent von Hompesch qui ne put empêcher de convoquer le Conseil de Guerre mais parmi les sept membres qui le composaient les trois chevaliers français, directeurs de l’Artillerie, du Génie et des Fortifications formaient la majorité avec le Bailli portugais Da Souza était déjà gagné par Poussielgue et l'état de siège ne fut pas proclamé. Le 9 juin au soir, à l’arrivée de la flotte devant Malte, le général en chef requiert l’entrée du port de l’île. Le Grand Maître répondit par l’intermédiaire du Consul que la neutralité de l’Ordre ne lui permettait d’accorder l’entrée qu’à quatre batteries de guerre et comme il prévoyait les conséquences de cette réponse, il assigna aux principaux chevaliers les postes qu’ils auraient à défendre. Le Prince Camille de Rohan, commandant en chef des milices (environ 4.000 hommes) était secondé par deux lieutenants incapables, l’un n’ayant jamais servi qu’en mer et l’autre âgé de 72 ans. Les milices n’étaient pas à leur poste quand le canon se fit entendre. Le général Beynier s’empara presque sans résistance des îles de Gozo et de Comino. Le général Baraghay d’Hilliers descendit sous le feu des batteries de Saint Paul et de Melleha pour chasser le Bailli Thomassi des retranchements de Nascias mais le général Vauboix menaçant de tourner "cadena" fit replier les milices en désordre vers la côte où on les poursuivit. A la gauche Desaux débarqua avec le même succès dans l’anse de Marsa Sirocco. Cependant la résistance que lui opposa la garnison dans le fort de Saint-Julien l’obligea à se faire protéger par la Brigade Belliard, dans le but de s’octroyer la place et achever son investissement. Vers 10 heures du matin, Bonaparte était maître de l’île à l’exception d’un seul fort de la ville.

Débarquement NapoléonMais ce n’était pas assez pour assurer le succès de l’entreprise. Outre la cité de La Valette, il restait Fort-Briccazolli et l’enceinte extérieure qui couvre les Bourgs de la Victoire et de la Sangle, portes fortement défendues, permettaient de tenir l’armée française en échec jusqu’à l’arrivée de l’escadre anglaise de laquelle dépendait désormais le salut de l’Ordre. Loin de faire un usage bien combiné de ses dernières ressources, le Grand Maître enfermé dans son palais avec le commandant de Saint Priest, son adjudant fut invisible pour tous et ne donna ni ordres, ni instructions pour la défense ou pour l’évacuation des derniers postes. Livrés à eux-mêmes contrariés par les chevaliers français que Poussielgue et Carisson avaient gagnés, les chefs des différents postes perdirent la tête quand une sortie imprudente exécutée avec les meilleures troupes par le Bailli de Bellemont fut ramenée par le chef de Brigade Marmont et que la flotte se vit forcée à rentrer dans le port. La canonnade continua néanmoins jusqu’à la fin de la journée. Vers 10 heures du soir, la garnison de la Sangle, terrorisée et saisie de panique, au moyen de ses embarcations se mit à l’abri sous les murs de la Cité où cette présence ne fit qu’augmenter le désordre et donna lieu à une fatale méprise. Cet incident dont quelques chevaliers rejetèrent la faute sur le Bailli de Saint-Tropez, décida du sort de l’Ordre. En effet, vers minuit les Barons de l’île et les principaux habitants de la ville se portèrent au palais du grand maître pour l’engager à capituler. Il se rendit après avoir consulté pour la forme un Concile dont il éloigna les grandes Croix qui n’étaient pas si complaisants. Le Bailli de Sanza et le Consul Batardi furent chargés de demander un armistice.

Bonaparte informé de tout ce qui se passait accepta avec empressement et fit arrêter sans retard les bases de la capitulation. Il se montra aussi généreux envers le Grand Maître que celui-ci fut peu délicat. L’Ordre céda la ville et les forts de Malte et renonça à ses droits de souveraineté sur l’île comme sur celles de Gozo et de Comino. Bonaparte promit au nom du Directoire une pension au Grand Maître et son intervention au congrès de Bastadt pour lui obtenir une principauté en Allemagne à titre d’indemnité. Un revenu de 700 francs et la garantie de leur propriété furent assurés aux chevaliers français. Rien ne fut stipulé en faveur des chevaliers des autres nations. Von Hompesch chargé de leur malédiction, quitta l’île emportant avec lui trois à quatre cent mille francs, unique rémunération de sa honteuse capitulation.

L’armée française trouva à Malte 1.200 pièces de canon, environ 50.000 fusils, 2 vaisseaux de guerre, une frégate et 4 galères. 6 jours suffirent à Bonaparte pour ériger Malte en colonie française. Administration intérieure, garde nationale, impôts, religion, instruction publique, tout fut organisé. Le commandement militaire fut donné au Général Vauboix, tous les Turcs esclaves de l’Ordre furent embarqués sur la flotte française, les chevaliers nés français qui n’avaient pas passé l’âge de 30 ans furent incorporés dans les cadres de l’armée ou dans l’administration. Les régisseurs maltais furent licenciés, on en forma d’autres, outre la légion de 2 bataillons qui suivit l’expédition, plusieurs compagnies furent envoyées à Corfou (cf. 16 et 24 fructidor).

Malte, l’une des plus fortes places de l’Europe aurait pu soutenir un siège aussi mémorable que celui qui en 1565 immortalisa Jean de La Valette. C’est lui qui avait fait construire la ville après en avoir chassé les Turcs. Depuis, les fortifications avaient été perfectionnées par les plus habiles ingénieurs. La capitulation fut signée le 19 juin à minuit à bord de " l’Orient ". Sous les Romains cette île célèbre n’avait pas moindre importance que de nos jours. Au moyen âge, elle fut conquise par un français, le Comte Roger le Normand. Sous les Sarrasins, elle devint un fief de la Sicile, puis possession de Louis XII, Roi de France, lors de la conquête de Naples. Les chevaliers de Saint-Jean chassés de Rhodes en 1522 la reçurent en fief par Charles-Quint, ils en faisaient hommage au Roi de Sicile."

Source :
Extrait d’archive du SHAT : n°1M520
Mémoire en note sur l’expédition d'Égypte (sans nom d’auteur) p. 35.
Article publié dans la Revue AGM n° 36 du 1er trimestre 2003

Publié avec l’aimable autorisation de Catherine VELLA-GONZALEZ


  1. La vie économique à Malte au 18ème siècle, de Aurore VERIÉ
  2. Les étrangers à Malte (fin XVIe-XVIIe siècles), de Anne BROGINI
  3. La langue maltaise, un carrefour linguistique, de Martine VANHOVE
  4. Les Juifs à Malte, de Aurore VERIÉ
  5. Les Français d’Algérie de 1830 à aujourd’hui (extraits), de Jeannine VERDES-LEROUX
  6. L'émigration des Maltais en Algérie au XIXème siècle (extraits), de Marc DONATO
  7. Malte dans "Un hiver en Egypte" (extraits), de Eugène POITOU
  8. Les Maltais en Tunisie à la Veille du Protectorat (extraits), de Andrea L. SMITH
  9. La population de Malte au XVIIe siècle, reflet d’une modernité (extraits), de Anne BROGINI
  10. La peur de la Révolution française à Malte, de Frans CIAPPARA
  11. Le Siège de Malte par Napoléon Bonaparte (extraits)
  12. Malte, frontière de chrétienté (1530-1670), de Anne BROGINI
  13. L’esclavage au quotidien à Malte au xvie siècle, de Anne BROGINI
  14. Noblesse maltaise et généalogie, de Loïck PORTELLI
  15. Quelques Maltais peu fréquentables, de Loïck PORTELLI
Top