Les Juifs à Malte
Publié le 10/04/2011de Aurore VERIÉ
1492, c’est aussi la date de l’expulsion des Juifs des territoires de la Couronne d’Espagne dont Malte faisait partie à l’époque.
Il y avait, depuis 1242, des communautés juives qui, fuyant les persécutions, étaient venues s’installer à Malte (Mdeina et Birgù) et à Gozo (Rabat). Ces trois communautés, environ les 2,94% de la population, étaient protégées par la loi contre les tentations d’abus. Les Juifs étaient reconnus comme citoyens mais n’avaient pas le droit de participer aux affaires de la Cité. Ils possédaient leurs propres boucheries, leurs synagogues et leurs cimetières, et se regroupaient d’eux-mêmes où ils voulaient, à condition que ce ne fût pas près d’une église.
Ils étaient, pour la plupart, commerçants, courtiers, prêteurs sur gages, et petits artisans comme forgerons et fabricants de chandelles. Mais alors qu’à cette époque la majorité de la population était analphabète, les Juifs étaient instruits et souvent très cultivés, et l’on trouvait parmi eux des notaires et surtout des médecins dont la renommée allait jusqu’en Italie du Sud.
Les conditions de vie des Juifs n’étaient sans doute pas idéales à Malte – et encore moins à Gozo – mais elles étaient enviables comparées à celles de leurs coreligionnaires ailleurs. Le roi de Sicile, suzerain de Malte, les protégeait car ils étaient, pour le Trésor, une source de revenus appréciables ; ils payaient une dîme à l’Eglise et aux notables aux jours de fêtes, et devaient demander le pardon général de leurs fautes moyennant espèces sonnantes et trébuchantes. La mésentente, et parfois les fortes tensions entre eux et les Maltais, venaient surtout du fait qu’ils étaient exemptés du service de la Milice, de l’entretien des remparts et de la garde côtière car on se méfiait d’eux, vu leurs contacts avec les Musulmans d’Afrique du Nord. On leur faisait compenser ces exemptions par les corvées de ravitaillement en eau, la fourniture des outils et des matériaux.
On les obligeait à porter sur leurs vêtements la « rotella », rond de tissu rouge en signe identificateur ; et s’il arriva parfois que certains d’entre eux furent molestés pendant la Semaine Sainte, période de grande ferveur émotionnelle chez les Maltais, ou si on en traîna quelques-uns sur les bancs de l’église pour entendre de force un sermon, aucun pogrom ne fut à signaler.
Comme sur tous les territoires de la Couronne d’Espagne, ces Juifs furent d’abord incités à la conversion, pour éviter l’exil. Ils furent peu nombreux à accepter et, dans ce cas, ils changèrent noms et prénoms et s’installèrent en Sicile ; inversement, les convertis de Sicile vinrent résider à Malte dans le but d’éviter le mépris de leurs anciens coreligionnaires. En mars, quand le roi Ferdinand signa le décret, ils eurent à vendre leurs biens dans les plus brefs délais- prolongés de deux mois de plus à Malte qu’ailleurs. Et en septembre, ils partirent, emportant argent, bijoux, livres et objets de culte, ânes et mules. De leur argent qui resta à Malte, on restaura le Fort St Ange. Les uns prirent la direction de l’Afrique du Nord, les autres trouvèrent refuge en Albanie et en Bulgarie.
Après 1492, les seuls Juifs de Malte étaient devenus des esclaves capturés par les pirates ; ils étaient protégés par la loi contre toute brutalité et ne se mêlaient qu’aux esclaves musulmans.
On retrouve le souvenir de cette communauté juive dans des noms de lieux comme le Terrain Tal-Lhudi, le Cimetière Qbur Il-Lhud, une poterne Lhudi et Lhud signifiait Juif. On retrouve aussi leurs noms dans plusieurs actes notariés où se mêlent latin, sicilien et maltais. Plusieurs médecins ont laissé leurs noms dans les archives, comme Abram Safardi, Xmun Il-Malti, Rafel Cheti etc. De cette époque nous viennent aussi quelques contes ayant pour thème le Juif Barabas et le trésor caché.
On peut affirmer que la communauté juive n’eut aucune influence sur les maltais, car ils vivaient côte à côte en essayant de se tolérer, mais sans se mêler. Il n’y eut aucun mariage mixte. Si un juif se convertissait, il était rejeté par les siens et si un chrétien reniait sa foi pour le judaïsme, il encourait la peine de mort.
Ce groupe ethnique bien particulier inspira à Christophe Marlowe, en 1590, une œuvre littéraire sous le titre du « Juif de Malte », qui, à son tour, inspira à William Shakespeare le « Marchand de Venise ».
Article paru dans la Gazette de l’Association « des Amis de Malte »
et également lisible sur : http://sefarad.org/sefarad/sefarad.php/id/16/
Publié avec l’aimable autorisation de Aurore VERIÉ
- La vie économique à Malte au 18ème siècle, de Aurore VERIÉ
- Les étrangers à Malte (fin XVIe-XVIIe siècles), de Anne BROGINI
- La langue maltaise, un carrefour linguistique, de Martine VANHOVE
- Les Juifs à Malte, de Aurore VERIÉ
- Les Français d’Algérie de 1830 à aujourd’hui (extraits), de Jeannine VERDES-LEROUX
- L'émigration des Maltais en Algérie au XIXème siècle (extraits), de Marc DONATO
- Malte dans "Un hiver en Egypte" (extraits), de Eugène POITOU
- Les Maltais en Tunisie à la Veille du Protectorat (extraits), de Andrea L. SMITH
- La population de Malte au XVIIe siècle, reflet d’une modernité (extraits), de Anne BROGINI
- La peur de la Révolution française à Malte, de Frans CIAPPARA
- Le Siège de Malte par Napoléon Bonaparte (extraits)
- Malte, frontière de chrétienté (1530-1670), de Anne BROGINI
- L’esclavage au quotidien à Malte au xvie siècle, de Anne BROGINI
- Noblesse maltaise et généalogie, de Loïck PORTELLI
- Quelques Maltais peu fréquentables, de Loïck PORTELLI