Quelques Maltais peu fréquentables

Publié le 22/09/2023

De Loïck PORTELLI

Selon La Bruyère nous descendons tous d'un roi et d'un pendu. Si des ouvrages et sites internet sont consacrés aux généalogies maltaises célèbres, peu en revanche mentionnent des potentiels ancêtres ayant eu maille à partir avec la justice. Il est vrai que l’univers des crimes et délits est loin de susciter le même attrait. Etudions le cas  de quelques maltais ayant sévi à Malte ou à l’étranger.

Malte pendant la période Hospitalière (1530-1798)

Sous l’Ordre de Malte (1530-1798), l’une des condamnations les plus fréquentes était la condamnation aux galères, moyen permettant de toujours avoir un effectif de rameurs suffisant.[1] Il arrivait que certains s’évadent, comme ce fut le cas pour le voleur Tomaso Tabone originaire de Żejtun. Le 12 septembre 1746 un bando (proclamation) le concernant est lu par le banditore (crieur public) :

Son Altesse Sérénissime le Grand Maître [Manoel Pinto da Fonseca] promet par la présente cinquante scudi à quiconque capture et conduit en prison Tomaso Tabone de Żejtun qui purgeait une condamnation à perpétuité aux galères. Si Tabone offre une résistance et est tué pendant sa capture son assassin se verra quand même attribuer cinquante scudi ainsi que l’immunité contre toute poursuite.

 Ledit Tomaso commet des larcins dans toute l’île avant d’être finalement repéré le 12 novembre 1746 à Żejtun lorsqu’il essaie d’obtenir de l’aide auprès d’un parent. Le 26 août 1647 l’inquisiteur Paolo Passionei note dans son foglietti di notizie (rapport au Vatican) : « Le procès du voleur notoire qui a terrorisé toute l’île est terminé. Il est en prison depuis neuf mois. […] Il sera très probablement condamné aux galères à perpétuité tant ses méfaits et vols ont été nombreux et sa responsabilité dans ceux-ci est évidente. » [2]

Le 18 novembre 1758 le buonavoglia[3] originaire de Ħaż-Żebbuġ Lorenzo Gatt, âgé de trente-six ans, n’est pas condamné aux galères mais à la pendaison par les juges Cumbo, Nataleo et Clinchant pour les vols qu’il a commis. Il est emprisonné au cavalier[4] saint James (situé à proximité de l'Auberge de Castille et de l’église Notre-Dame des Victoires) qui fait office de prison pendant les travaux de la Castellania. Lorenzo est assisté spirituellement par le père Giovanni Regnaud et reçoit le viatique des mains du frère Francesco Antonio del Castillo. Il est pendu le 20 novembre et inhumé au cimetière des pendus de Floriana.

 1. Giacomo Gatt x NN
1.1 Tomaso dit Masio Gatt x Marietta Attard
1.1.1 Vittorio Mro Gatt x (30 septembre 1644 Żebbuġ) Marietta Bonnici
1.1.1.1 Francesco Gatt x (2 juillet 1687 Żebbuġ) Anna Maria Zahra
1.1.1.1.1 Publio Gatt x (20 août 1713 Żebbuġ) Maria di Rinaldo
1.1.1 1.1.1 Lorenzo Gatt x (24 février 1748 La Valette) Teresa Pulis

Certains vols sont particulièrement choquants dans une société maltaise très croyante. Ainsi lorsque le 24 janvier 1663 on découvre que la nappe d’autel ainsi que d’autres objets dont le ciboire plein d’hosties consacrées ont été dérobés dans l’église paroissiale de Gudja, l’indignation est à la hauteur de l’événement. Le Grand Maître Rafael Cotoner offre plusieurs fortes récompenses dont la somme de trois cents scudi. Il excommunie également le coupable par contumace. L’inquisiteur Girolamo Casanate rapporte : « Le 23 janvier un vol des plus horribles et des plus sacrilèges a eu lieu […]. Tous les tribunaux de l’île enquêtent vigoureusement sur l’affaire ». [5]  Un mot anonyme est retrouvé sur la porte le d’église conventuelle Saint-Jean (future co-cathédrale) : « Ille qui furavit pisside est in domo unius cavalieri » (celui qui a volé le ciboire réside dans la maison d’un chevalier). Le ciboire est finalement retrouvé dans le confessionnal de l’église Saint-Jacques de La Valette, mais le coupable ne sera jamais identifié.

Avoir des dettes peut aussi avoir de fâcheuses conséquences. Le 7 juin 1734 le baron de Tabria, Isidoro Viani, est jeté dans une cellule du fort Saint-Elme. Celui qui exerçait les fonctions de trésorier de l’Università (assemblée municipale) de La Valette, a accumulé des dettes qui s’élèvent à 50 000 scudi. Ses meubles, son or et son argenterie sont confisqués. En juillet ses biens ainsi que ses trois maisons de La Valette sont vendus aux enchères. Une maison est vendue 500 scudi, une autre est vendue au Grand Maître António Manoel de Vilhena pour la somme de 2100 scudi et la dernière est vendue 1500 scudi à l’orfèvre G.B Borg.[6] Le 15 juillet 1734 le baron est condamné à mort. Ses enfants vendent alors tous leurs biens pour sauver leur père qui est libéré le 21 juillet.

1 Claudio Viani x NN
1.1 Amadeo Viani x (19/5/1639 Vittoriosa) Anna Maria Gandolfo
1.1.1 Vincenzo Viani x (4/11/1663 Porto Salvo) Maddalena Pensa
1.1.1.1 Baron Isidoro Viani x (30/4/1702) Teodora Attard
1.1.1.1.1 Baron Gio Battista Viani x (19/4/1733 Porto Salvo) Maria Teresa Bonnici
1.1.1.1.1.1 Baronne Anna Viani x (25/4/1762 Vittoriosa) Marquis Mario Testaferrata
1.1.1.1.2 Margarita Viani
1.1.1.1.3 Angelica Viani
1.1.1.1.4 Olimpa Viani

Le baron n’est pas le seul a avoir eu des revers de fortune. Des chevaliers de Malte ont également amassé des dettes colossales. L’inquisiteur Giovanni Filippo Gallarati Scotti note le 26 juin 1790 :

Au grand étonnement de tous, le Chevalier Commandeur Damas doit au Trésor la somme considérable de 81 000 scudi, dette qu'il a accumulée au cours de ses trois années d'administration du Trésor Public de l'Ordre. Cette fraude a suscité l'indignation de tout le Couvent, surtout compte tenu des difficultés financières actuelles de l'Ordre et de ses revenus. Damas est détenu au fort Saint- Elme et sa maison est gardée.

Entre-temps, un autre chevalier a accumulé une dette d'environ 200 000 scudi, auxquels s'ajoutent 300 000 autres qu'il doit à des particuliers et qui demandent maintenant le règlement de leurs créances par l'Ordre.[7]

Certaines condamnations à la pendaison donnant des informations sur la famille du condamné ce qui peut aider les généalogistes dans leurs recherches. Voici quelques exemples qui peuvent leur être utiles :

Date Nom Crime Condamnation Informations
7 février 1689 Carlo Vivier ? Pendaison 19 ans
Originaire de La Valette
Fils de Martino
11 juillet 1689 Antonio Cachia Non-respect de quarantaine Pendaison à Marsamxett Originaire de Żurrieq
Fils de Maruzzo
22 août 1761 Giuseppe Borg Cambriolage d’un entrepôt appartenant au consul britannique à la marina de La Valette. Pendaison 35 ans
Fils d’Andrea de Città Pinto
22 août 1761 Giuseppe Seguna Cambriolage d’un entrepôt appartenant au consul britannique à la marina de La Valette. Pendaison 35 ans
De Ta’Sannat, Gozo
Fils de Domenico
5 décembre 1761 Giuseppe Debono Meurtre Pendaison 25 ans Originaire de Birkirkara
Fils de Gratio
28 septembre 1763 Saverio Galea Vol d’un crucifix en argent église de Ħaż-Żebbuġ. Pendaison 25 ans
Epoux de Maria Camilleri (x le 22 octobre 1758 à Porto Salvo)
Parents Michelle Galea et Elisabetta NN
5 août 1765 Angelo Fenech ? Pendaison 28 ans
Epoux de Grazia Grima (x 2 juin 1760 Porto Salvo)
Parents Michele Fenech et Maria NN
5 août 1765 Giovanni Refalo ? Pendaison 24 ans
Epoux de Teresa Schembri (x 16 février 1765 La Valette, Teresa originaire de Xagħra, Gozo)
Parents Antonio Refalo et Grazia NN
19 mai 1781 Salvatore Giormis ? Pendaison 34 ans
Originaire de Cospicua
Fils de Battista

Malte membre de l'Empire britannique (1800 à 1964)

Après le court intermède français (1798-1800), Malte fait désormais partie de l’Empire britannique. Ce sont donc ses lois qui s’appliquent dans l’archipel. Voyons ici l’affaire Paolo Genuis.

Le samedi 2 février 1878 Paolo Genuis, Giuseppi Azzopardi (24 ans) et Manwel Dimech (17 ans) passent la soirée ensemble et s’adonnent aux jeux de hasard. Dans la matinée du dimanche Paolo regagne son domicile situé près de la porte des bombes à Floriana. Il est rejoint en chemin par ses deux comparses de jeu qui le poignardent à la poitrine et lui dérobent ses gains. Agonisant, Paolo appelle à l’aide. Deux passants, Nerik Zammit et sa femme, l’entendent et préviennent un soldat en faction à proximité qui appelle à son tour la police. Paolo est transporté à l’hôpital central de Floriana où il trouve la force de donner le nom de de ses assassins au magistrat Falzon avant de mourir. Les deux hommes sont immédiatement arrêtés, et poursuivis pour meurtre. Le 1er avril 1878 leur procès commence. Le jour suivant la cour pénale de Sa Majesté condamne Giuseppi Azzopardi à mort pour le meurtre de Paolo. Manwel Dimech écope de vingt ans de prison en raison de son âge.[8] Le 10 avril à six heures du matin Giuseppi est conduit à la potence dressée tout près de la prison de Corradino (Paola). Il s’agira de la dernière exécution publique à Malte.[9]

Le crime exporté

des Maltais en Turquie

Dans la première moitie du XIXe siècle une petite communauté maltaise s’établit près des ports de Smyrne et Constantinople. Si elle comporte, comme toutes les autres, son milieu interlope, elle a également compté dans ses rangs des membres fort estimables. On citera par exemple Lewis Mizzi qui pendant près d'un demi-siècle a été l'un des principaux avocats d’Istanbul, ou le comte Amadeo Preziosi peintre orientaliste de renom.

Ce n’était certainement pas le cas de Guiseppe Azzopardi. Le 8 octobre 1839 Giuseppe, fils de Francesco et Grazia, épouse Concetta Falzon à Vittoriosa. Le 14 février 1842 il fait une demande passeport auprès du gouvernement maltais et part pour Smyrne (actuelle Izmir, Turquie). Il y trouve un emploi d’homme à tout faire chez Rosa Sluyk, une néerlandaise ancienne gestionnaire d’un hôtel à proximité de la ville avant que l’affaire ne périclite. A cinq heures du matin Giuseppe se présente chez Rosa et demande le paiement de la somme qui lui est due. Le ton monte et Giuseppe lui tranche la gorge avec un rasoir. Arrêté, Giuseppe est envoyé à Londres où il est jugé à la Cour criminelle centrale de Old Bailey (palais de justice de Londres). Le 12 mai 1843 le jury le déclare coupable et le condamne à mort.[10] L’affaire est évoquée dans la presse et l’avocat maltais Adrian Dingli, fils de Sir Paolo Dingli, intervient en sa faveur et obtient que la peine soit commuée en déportation pénale à vie le 3 juillet 1843. Azzopardi effectue le trajet vers l’Australie à bord du Maitland et arrive à l’île Norfolk le 9 avril 1844. Il est alors âgé de 24 ans.

L’épouse de Giuseppe, sans nouvelles de son mari, multiplie les démarches pour avoir des informations le concernant. Le 9 mai 1857, elle écrit au secrétaire en chef du gouvernement de Malte Victor Houlton :

N'ayant pu savoir si mon mari Giuseppe Azzopardi, originaire de Malte, malheureusement condamné et déporté en Australie vers l'année 1843, est toujours en vie, et dans quelle partie de l'Australie il peut, s'il vit encore, se trouver, et comme cette information est d'une grande importance pour mes intérêts pécuniaires affectant les moyens de ma subsistance, puis-je humblement vous prier de bien vouloir faire une telle enquête en Angleterre qui puisse révéler les informations pour lesquelles je prie sincèrement.[11]

Un avis est publié à l’attention de Giuseppe dans la gazette du gouvernement de Victoria le 8 décembre 1857.

AZZOPARDI, JOSEPH, censé être à Castlemaine, est prié de s’adresser ou de faire parvenir son adresse à l'honorable secrétaire en chef de Melbourne.

Les efforts de Concetta restent sans réponse, et pour cause. Le 2 janvier 1858 Giuseppe, qui se fait désormais appeler Joseph, épouse Rose Nugent à Castlemaine, (Victoria). Le 18 janvier 1859 Marie Azzopardi, fille de Joseph et Rosa est baptisée à l’église de Castlemaine.

des Maltais en Australie

Les premiers Maltais qui se rendent en Australie au début du XIXe siècle sont des condamnés qui ont déserté leurs régiments britanniques. En 1839 Antonio Azzopardi, originaire de Żejtun, fils d’Angelo Azzopardi et d’Euphemia Cachia, arrive à son tour en Australie. Contrairement aux condamnés à la déportation, il se déplace de sa propre initiative. Il s’agit du premier immigrant maltais. En 1846 il épouse une Écossaise à Melbourne, Margaret Sandeman. On trouve également la trace de plusieurs Maltais ayant combattu dans l’armée australienne pendant la première guerre mondiale.

En 1919 l’un des premiers « criminels maltais » fait l’objet d’un article dans la presse locale de Sydney :

UN LÉPREUX EN FUITE.

Un Maltais s'échappe du Lazaret.

Un lépreux nommé Joseph Portelli s'est échappé du lazaret de Coast Hospital (Sydney) samedi dernier. Portelli, qui est Maltais, avait été détenu au lazaret pendant sept mois.[12]

 Un autre Portelli a les honneurs de la presse quelques années plus tard :

ALAMBIC ILLICITE
Accusation contre un Maltais
AFFAIRE REJETÉE
SYDNEY. Mercredi [1er mars 1933].

Au tribunal de police de Parramatta aujourd'hui, Anthony Portelli, 27 ans, un maraîcher maltais, a été accusé d'avoir en sa possession un alambic illicite et six gallons de brandy blanc.

Un agent des douanes a déclaré avoir trouvé quatre bouteilles d’alcool dans une pièce occupée par deux des employés de Portelli à Pendle Hill, et d'autres bouteilles de spiritueux à différents endroits. Il a trouvé des parties de l'alambic cachées dans du maïs et des broussailles au jardin maraîcher, tandis qu'une caisse de muscat de 40 gallons était située à 10 mètres de la porte de la maison, mais sur la propriété d'un autre individu. Portelli, qui a nié avoir eu toute connaissance de l'alambic et de l'alcool, a déclaré que le vin appartenait à un voisin nommé Baiada.

Après que de nouvelles preuves ont été entendues, l'affaire a été rejetée.[13]

Le répit n’aura été que de courte durée puisque Anthony sera condamné en novembre 1937 à une amende de £30 pour avoir vendu de l’alcool sans autorisation.[14] Trois ans plus tard, le commerce d’Anthony Portelli fait encore parler de lui :

MALTAIS EN DIFFICULTÉ

Vendredi, au tribunal de Parramatta, un Maltais, Charles Agius, a accusé un compatriote, Bendetta Said, d'agression. Saïd ne s'est pas présenté. Agius, qui vit à Old Prospect Road, Wentworthville, a déclaré qu'il nettoyait les vitres de la boutique de Portelli à Pendle Hill lorsqu’il a été agressé. "Il m'a attaché avec une laisse pour chien et m'a assommé", a-t-il déclaré. « J'ai été transporté à l'hôpital. » Interrogé par le magistrat pour savoir s'ils s'étaient disputés, Agius a secoué la tête. « Je lui ai demandé pourquoi il m'insultait, » a-t-il dit, « et il m'a dit d'aller au diable ». L'affaire a été ajournée pour assurer la présence de Said.[15]

D’autres affaires sont plus sérieuses. En 1938 un Maltais de 32 ans, Joe Camilleri, est condamné à 12 ans de prison pour avoir tenté d’empoisonner sa femme Mary (née Camenzuli) à l’arsenic.[16]   

des Maltais en Egypte

La communauté maltaise en Egypte se constitue au début du XIXe siècle mais reste limitée. On peut supposer qu’après la défaite d’Aboukir d’août 1798 quelques éléments de la Légion Maltaise[17] se sont établis sur place, mais sans preuves pour étayer cette thèse. En 1882 une part significative des Maltais quitte l’Egypte en raison de la révolte Urabi. Un recensement de 1917 dénombre 7761 individus présents dans le pays.[18]

Parmi les éléments peu fréquentables la famille Tabone arrive en bonne position, tant ses déboires avec la justice ont été nombreux. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle Giuseppe Tabone travaille à Port-Saïd où il vend de la nourriture aux marins de passage. Le 21 septembre 1883 il est emprisonné 21 jours pour avoir attaqué Michele Ellul. Tout a commencé avec le coup de pied administré par Giuseppe au chien de Michele : lorsque ce dernier demande la raison d’un tel geste, Giuseppe le frappe au visage. Le 17 juillet 1899 il est arrêté - non sans peine – dans un bar, probablement en état d’ébriété. Il récidive dès le lendemain. Le consul britannique Cameron écrit : « Giuseppe Tabone est moins violent qu'hier mais toujours difficile à gérer. C’est un homme au caractère douteux, querelleur et dépeint ainsi par les autres personnes de sa condition. »[19] Le 27 avril 1900 Giuseppe attaque un garde-côte, ce qui lui vaut 7 jours de prisons.

Les enfants de Giuseppe, Carmelo et Emmanuele suivent le même chemin que leur père et sont régulièrement impliqués dans des bagarres, menace, vols et autres délits. En 1905 Carmelo qui est né à Cospicua et est âgé d’environ 24 ans, est déporté à Malte. Il retourne cependant clandestinement en Egypte à bord du SS City Of Lucknow.[20] Le 5 septembre 1906 Carmelo est à nouveau arrêté et déporté une nouvelle fois.

Des altercations sont plus violentes que d’autres. Le 30 août 1887 Antonio Cordina et Alfredo Matrenza échangent des coups de feu dans la rue des Sœurs, à Alexandrie. Alfredo, défavorablement connu de la police, meurt après avoir reçu trois balles dans le corps.   

des Maltais à Londres

Les débuts de l’émigration maltaise vers le Royaume-Uni sont étroitement liés à l’histoire de l’île de Corfou. En 1800, l’archipel Maltais passe en effet sous domination britannique après la défaite des troupes napoléoniennes qui s’en sont emparées deux ans plus tôt. Quatorze ans plus tard les Britanniques occupent les îles Ioniennes à la faveur du Traité de Paris. Un certain nombre de Maltais décide alors d’émigrer vers Corfou où ils fondent une petite communauté. En 1864, le Royaume-Uni se retire des îles Ioniennes qui sont rattachées à la Grèce. Des familles maltaises décident de quitter Corfou et s’établissent au pays de Galles, à Cardiff. Après la première guerre mondiale plusieurs familles maltaises font le voyage vers le Royaume-Uni et cherchent du travail aux docks de Londres. La fin de la seconde guerre mondiale engendre à son tour une importante vague de licenciements à Malte, où beaucoup d’emplois étaient liés à l’effort de guerre. Beaucoup de Maltais partent vers le Royaume-Uni. Dès 1949 on note un changement de perception de la communauté maltaise dans les journaux britanniques. Après avoir loué le courage de l’archipel qui lui avait valu la George Cross en 1942,[21] la presse souligne désormais l’émergence des activités criminelles auxquelles certains se consacrent.[22] [23]

Parmi ces personnes peu fréquentables se trouve un certain Amabile Ricca né le 6 novembre 1909 à Sliema. En 1930 il épouse Giorgia Borg. Le couple a plusieurs enfants : Antonia (1931), Carmelo (1932), Amabile (1933), Nazzareno (1935), Carolina (1936) et Giuseppa (1938).

Le 17 mai 1932 le tribunal de Malte le condamne à 4 mois de prison pour homicide involontaire. Il a en effet accidentellement abattu l’un de ses amis en manipulant un pistolet chargé. L’année suivante Amabile quitte Malte avec sa femme et son fils aîné pour s’établir en Angleterre. Après un bref passage dans l’armée il quitte sa femme et fréquente une certaine Louisa, originaire du Kent, avec qui il a quatre autres enfants.

En 1947, il est condamné à trois mois de prison pour vol de bons d'alimentation et à dix-huit mois pour agression. Son casier judiciaire fait apparaître quarante-sept condamnations dont la moitié pour des bagarres en état d'ébriété. Sa réputation lui vaut des surnoms tels que « le barbier maltais », « Ricky le malt » ou encore « la terreur de Londres ».

Le comportement d’Amabile entraînera sa fin tragique. En novembre 1945 il importune et menace de mort un certain Philipp Farrugia et sa femme Olive au Maltese Club, un bar sis au 3 Carlisle Street qui, comme son nom l’indique, est essentiellement fréquenté par des Maltais. 

Philipp Farrugia est l’aîné d’une fratrie de trois Maltais originaires de Żebbuġ. Leur mère est fermière et leur père tailleur de pierre. Né en 1912, Phillip se rend à Londres et réside au 34 D'Arblay Street à Soho. Il est chef cuisinier au restaurant Melita d’Oxford Street.

Son frère Giuseppe, né en 1919, a d’abord travaillé en qualité de docker au port de La Valette avant de lui aussi tenter l’aventure londonienne en 1946. Il s’installe avec une prostituée nommée Cecilia Courtney au 17 St Luke's Road à Notting Hill et travaille désormais en tant serveur au Premiere Restaurant sur Oxford Street.

Son cadet Francesco, né en 1926, loge au 66 Frith Street et devient cuisinier à Oxford Street.[24]

Tout ce petit monde vivant dans le même quartier, les rencontres et altercations avec Amabile Ricca se reproduisent, jusqu’à ce mardi 15 juin 1948. Vers 18h, Giuseppe et Francesco Farrugia se rendent au « The Tulip », situé au 56 Greek Street afin d’y boire un thé. Giuseppe quitte le restaurant et laisse son frère. A 22h Amabile Ricca pousse la porte et entre dans l’établissement. Apercevant Francesco, il se rend vers lui et lui dit « je vais de chasser de la ville, je vais te tuer ». Francesco quitte alors le Tulip et se rend au Maltese Club. Outre son frère, il retrouve les habitués du lieu qui jouent au billard ou au gin rami : le propriétaire de l’établissement « Big George » Mifsud, ainsi que le faussaire Harry Arduino, Nicholas « the Malt » Borg, Nikola Farrugia alias Nicky the Butcher, John Borg « Ħanżira », Ċikku « the Meat » Portelli, Ġanni « l-Għawdxi » et Frank Buhagiar « il-Ġurdien ».

A 22h15 Amabile Ricca arrive à son tour. Il découvre la présence de Francesco et Giovanni et leur lance « je vais vous tuer, je vais vous tuer tous les deux. » Le ton monte et à 22h29 Giuseppe sort un pistolet Walther calibre .32 et tire à deux reprises. Ricca agonise dans une mare de sang et prononce ces derniers mots en maltais « ils m’ont tué, ils m’ont tiré dessus ». A 22h55 Amabile est transporté à l’hôpital de Charing Cross où son décès est constaté. L’enquête policière commence et malgré le peu d’entrain des témoins à parler Giuseppe et Francesco sont identifiés. Ils sont jugés le 16 juillet 1948 au tribunal de Old Bailey à Londres. Francesco écope d’une peine de six mois de prison pour complicité et Giuseppe d’une peine de cinq ans, réduite plus tard à 3 ans.

Des personnages comme Amabile Ricca étaient, malgré la réputation qui les entourait, loin de rivaliser avec les véritables organisations mafieuses maltaises comme celle des « Messina Brothers », un gang qui a dirigé tout un réseau de prostitution à Londres au milieu du XXe siècle. Comme l’écrit Matthew Vella, « Le meurtre de Ricca - prétendument celui qui aurait fait disparaître le Maltais le plus redouté de tous - n'était que le début, et il ne capture qu'une partie de la boîte de Petri de la violence qui […] en ces jours d’austérité d'après-guerre, mettrait à l'épreuve les derniers vestiges des mœurs édouardiennes dans la décennie à venir. »[25]

Conclusion 

Ce court tour d’horizon a permis de braquer le projecteur sur quelques Maltais qui ont eu affaire à la justice. Derrière eux se cachent de nombreux autres individus qui, par vice ou poussés par la nécessité et la faim, ont dû enfreindre la loi.  

Et vous, de quel pendu descendez-vous ?   


Notes
  1. Ce procédé n’était pas utilisé qu’à Malte. Dans de nombreux pays la justice a été l’auxiliaire de la marine pour satisfaire ses besoins en hommes. En France par exemple Colbert écrit aux parlements pour les inciter à condamner aux galères « le plus grand nombre de coupables qu’il se pourra. » (Pagès, « Note sur le recrutement et la libération des galériens sous Louis XIV au début du ministère de Colbert », Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, 1908, p. 35.)
  2. Zammit, William. Kissing the Gallows, BDL Publishing, 2016. pp. 122-124.
  3. Buonavoglia est un terme désignant des hommes libres volontaires pour ramer à bord de galères pendant une durée déterminée, souvent pour solder des dettes.
  4. Un cavalier est un élément de fortification qui s'élève au-dessus d'un autre élément. Il permet de placer des pièces d'artillerie suffisamment en hauteur pour renforcer sa puissance de feu.
  5. Zammit, William. Kissing the Gallows, BDL Publishing, 2016. p. 115.
  6. Zammit, William. Kissing the Gallows, BDL Publishing, 2016. p. 438.
  7. Zammit, William. Kissing the Gallows, BDL Publishing, 2016. p. 187.
  8. Attard, Edward. Murder in Malta. A Chronicle of Homicide Cases Volume 1: 1800-1966, pp. 49-50.
  9. Zammit, William. Kissing the Gallows, BDL Publishing, 2016. p. 412.
  10. Pennel, Richard. “Looking for Azzopardi: A historic and a modern search”, The Journal of Public Record Office Victoria, issue no. 10, 2011. ISSN 1832-2522.
  11. Ibid.
  12. “A leper at large”, The farmer and settler (Sydney), Tuesday 16 September 1919, p. 4. http://trove.nla.gov.au/newspaper/article/123310243
  13. “Illicit still”, Newcastle Morning Herald and Miners’ Advocacy (NSW), Jeudi 2 Mars 1933, p. 8. http://trove.nla.gov.au/newspaper/article/135552130
  14. “Fined £30 for selling beer”, Cumberland Argus and Fruitgrowers Advocate (Parramatta, NSW), Jeudi 25 Novembre 1937, p. 2. http://trove.nla.gov.au/newspaper/article/106151261
  15. “Maltese in trouble”, Cumberland Argus and Fruitgrowers Advocates (Paramatta, NSW), Mercredi 5 Juin 1940, p. 3. http://trove.nla.gov.au/newspaper/article/106204153
  16. Vella, Yosanne, “The search for Maltese troublemakers and criminals in Australia”, The Journal of Public Record Office Victoria, issue no. 15, 2016–2017. ISSN 1832-2522.
  17. La Légion Maltaise était composée de Maltais enrôlés dans l’armée napoléonienne parfois contre leur volonté. Leur effectif s’élevait à 358 hommes issus du Regimento di Malta et 119 autres de la garde du Grand Maître. (Voir Mifsud, Richard. Napoleon’s Maltese Legion: A detailed historical account of Napoleon’ reluctant soldiers. Kopri, 2009 p. 17).
  18. Refalo Michael. Among Others The Maltese in Egypt: Life, Crime and Death (1860-1923). Kite Group, 2021, p. 2.
  19. Refalo Michael. Among Others The Maltese in Egypt: Life, Crime and Death (1860-1923). Kite Group, 2021, p. 277.
  20. Le 30 avril 1916, City Of Lucknow, lors d'un voyage d'Alexandrie à Liverpool avec une cargaison d'oignons, a été coulé par le sous-marin allemand U-21 (Otto Hersing), à 60 milles à l'est de Malte. L’équipage a été récupéré par un destroyer britannique et amené à Malte.
  21. https://www.royal.uk/george-vi
  22. Attard, Lawrence. Beyond our Shores, A Panorama of Maltese Migration, PEG, 2007, p. 150.
  23. Voir par exemple https://scepticpeg.wordpress.com/2016/08/30/the-soho-connections-a-z-of-whos-who/
  24. https://www.murdermiletours.com/blog/murder-mile-uk-true-crime-podcast-94-the-terror-of-maltese-london-amabile-ricca
  25. Vella, Matthew. Passport to Vice: Money, Bombs, Murder, & the Empire of Vice. The Rise of London’s Maltese Syndicate and “Big Frank” Mifsud from the East End to Soho. Horizons, 2022. p. 11.

Publié avec l’aimable autorisation de Loïck PORTELLI


  1. La vie économique à Malte au 18ème siècle, de Aurore VERIÉ
  2. Les étrangers à Malte (fin XVIe-XVIIe siècles), de Anne BROGINI
  3. La langue maltaise, un carrefour linguistique, de Martine VANHOVE
  4. Les Juifs à Malte, de Aurore VERIÉ
  5. Les Français d’Algérie de 1830 à aujourd’hui (extraits), de Jeannine VERDES-LEROUX
  6. L'émigration des Maltais en Algérie au XIXème siècle (extraits), de Marc DONATO
  7. Malte dans "Un hiver en Egypte" (extraits), de Eugène POITOU
  8. Les Maltais en Tunisie à la Veille du Protectorat (extraits), de Andrea L. SMITH
  9. La population de Malte au XVIIe siècle, reflet d’une modernité (extraits), de Anne BROGINI
  10. La peur de la Révolution française à Malte, de Frans CIAPPARA
  11. Le Siège de Malte par Napoléon Bonaparte (extraits)
  12. Malte, frontière de chrétienté (1530-1670), de Anne BROGINI
  13. L’esclavage au quotidien à Malte au xvie siècle, de Anne BROGINI
  14. Noblesse maltaise et généalogie, de Loïck PORTELLI
  15. Quelques Maltais peu fréquentables, de Loïck PORTELLI
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